L’homéopathie contre-attaque
La Coalition pour l’homéopathie a vu le jour le 19 novembre 2019. Elle rassemble les acteurs de la communauté homéopathique de la province, comme Daniel Dereser, directeur général de Boiron Canada, basé à Saint-Bruno-de-Montarville, ou encore Paul Labrèche, homéopathe et président du Syndicat professionnel des homéopathes du Québec. Le journal Les Versants les a rassemblés avec Thomas Mulcair, ancien chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), avocat de profession et ex-président de l’Office des professions du Québec, et Christiane Laberge, MD, médecin de famille et chroniqueuse santé, tous les deux largement favorables à ce que l’homéopathie soit à la fois mieux encadrée et plus reconnue.
L’homéopathie n’est pas en forme, pourquoi?
Daniel Dereser : L’homéopathie a toujours été attaquée. On arrive à une époque où il est temps pour nous de reprendre la parole. Pendant longtemps, nous n’avons pas pris assez la parole pour démystifier et expliquer ce qu’est l’homéopathie et la réalité scientifique de l’homéopathie. Il est temps de s’afficher et de rectifier certaines informations qui ont été malheureusement fausses. C’est un droit fondamental, important, que ce choix demeure pour les familles québécoises qui font confiance et qui savent que cela marche.
Christiane Laberge : Il fut un temps où quand on parlait d’homéopathie, on parlait contre la médecine traditionnelle; aujourd’hui, on parle d’approche intégrative. Donc, ce n’est pas parce qu’on prend des produits homéopathiques qu’on arrête les antibiotiques, ce n’est pas parce qu’on prend un antibiotique qu’on arrête le produit homéopathique. Il y a plus d’intégration aujourd’hui. La liberté de choix est importante. Le meilleur outil pour traiter un patient est celui qui va lui convenir aussi bien sur le plan psychologique que social, scientifique ou chimique. Ces services doivent cependant être validés, encadrés, car on ne peut pas faire n’importe quoi et il faut qu’on ait accès à ces outils. Il faut aussi qu’ils soient de qualité, qu’ils soient connus. On ne traite pas un cancer avec des antibiotiques, bien sûr, mais on ne traitera pas en homéopathie un cancer non plus.
Quel sera votre rôle dans cette coalition, M. Mulcair?
Thomas Mulcair : Mon approche est plutôt administrative et juridique et je laisse la science et la médecine aux praticiens. La Dre Laberge n’a plus besoin d’introduction et M. Dereser est titulaire d’un doctorat d’État en France en pharmacie. Avec mon rôle de président à l’époque de l’Office des professions du Québec, c’est le caractère réglementaire de la profession que je vais regarder dans l’objectif de protéger le public. On a fait une étude majeure sur les médecines douces, il y a plus de 30 ans, et à l’époque, nous avions décidé qu’il fallait avant tout réglementer ce qui pouvait être dangereux pour le public.
Il y avait un manque de réglementation en acuponcture, et cette pratique avait des formations très disparates, laissant de côté les choses comme l’homéopathie et la naturopathie. Cependant, juste avant notre conférence, la Cour suprême du Canada a rendu une décision très importante dans le cas d’une naturopathe montréalaise. Cette décision commente une intervention du gouvernement pour assurer la protection du public dans les deux domaines de la naturopathie et l’homéopathie. Il va falloir qu’on réglemente et ma porte d’entrée est toujours la même, la réglementation dans l’intérêt de la protection du public.
Au Québec, il y a une carence en ce moment, qui laisse les gens sans information quant à la validité de la formation de quelqu’un qui s’affiche comme praticien dans ces deux domaines. En Ontario, on réglemente les naturopathes et les homéopathes. Donc, on est dans une situation où une personne à Montréal, qui veut être certaine de voir un professionnel, est obligée de traverser la frontière à Hawkesbury. Nous, nous sommes en train de dire qu’il est grandement temps maintenant, notamment à la lumière de cette décision de la Cour suprême, qu’on réglemente au Québec ces professions, dans l’intérêt du public et dans le respect de ses choix.
Le fruit est maintenant mûr. Historiquement, la demande (d’un ordre professionnel) est sur la table. Il y a encore des gens qui travaillent dans ce sens, mais tout le monde, à la lumière de la décision qui date d’il y a un mois, va demander la réglementation de son domaine en naturopathie et en homéopathie, c’est inévitable.
J’étais à la Cour suprême au mois de mai. J’étais là pour la cause afin d’entendre tous les débats devant cette cour et je suis sorti de là avec la profonde conviction que la Cour suprême allait rendre la décision qu’elle a rendue. Et dans son premier paragraphe, la Cour suprême évoque tout le problème. Elle dit que oui, c’est vrai, au Québec, la naturopathe jugée n’avait pas le droit de poser ces gestes, mais c’est une naturopathe dûment formée. Elle avait toutes les compétences requises pour le faire, donc l’accusation d’avoir causé la mort par un geste illégal ne peut pas être évoquée dans son cas, car même si théoriquement, c’était illégal, dans son cas à elle, elle avait la formation et elle aurait pu faire ça dans d’autres provinces avec sa formation.
Le droit criminel doit être uniforme d’un océan à l’autre du Canada. Dans ce premier paragraphe, c’est très clair, l’obligation incombe maintenant à Québec et sa ministre Sonia Lebel d’analyser les demandes qui vont sûrement venir ce printemps des naturopathes et des homéopathes, et tenir compte d’une seule chose, l’obligation de protéger le public, et c’est ce qui ressort clairement de la décision de la Cour suprême.
Est-ce que l’homéopathie cherche des personnes connues pour défendre leurs activités?
Christiane Laberge : Il y a un grand nombre de Canadiens qui utilisent l’homéopathie : environ 4,9 millions au Canada, environ 1 million au Québec. Les gens ont décidé de sortir du placard. La demande vient du public. C’est quoi, l’homéopathie? Ça fait quoi? De plus en plus de patients nous demandent ce que c’est, cette affaire-là. Comme médecin de famille, on doit répondre à pas mal de questions, mais il nous faut des choses sur quoi nous appuyer. Un peu comme on a fait avec les psychologues et la psychothérapie. Aujourd’hui, on a encadré tout cela.
Daniel Dereser : Ce n’est pas Boiron tout seul, c’est une coalition, nous sommes 14. Il y a le Syndicat des homéopathes, un mouvement citoyen indépendant, tous les fabricants dont fait partie Boiron, et puis l’Institut international de recherches qui fait partie de cette coalition. C’est une coalition qui a décidé à un moment donné de dire « trop c’est trop ». Il est temps pour nous de s’afficher, d’être fiers de qui nous sommes, de respecter la liberté de choix et de démystifier l’homéopathie. Ce sera aux familles québécoises de décider après. Depuis 20 ans, il n’y a qu’une seule version : l’homéopathie ne marche pas. Non, il y a des gens sérieux, raisonnables et raisonnés derrière cela et formés, et c’est très important de le dire. Il est temps que la coalition reprenne la parole, Boiron est membre de cette coalition, pour donner l’information. Les sceptiques ont le droit de donner leur point de vue, et la coalition aussi.
Paul Labrèche : C’est le Syndicat des homéopathes du Québec qui a lancé ce mouvement-là. On a fêté notre 30e anniversaire en mai dernier. Et à cette occasion, on a décidé de faire une réunion un peu informelle avec les professionnels et les fabricants qui étaient présents pour parler de la situation d’offensive médiatique qui s’était intensifiée depuis le mois de janvier 2019. On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. On parlait au départ de table de concertation, on a parlé aussi d’une information plus complète auprès de l’homéopathie. L’homéopathie est un château fort en France, à partir du moment où les fondations sont ébranlées.
Pourquoi devrait-on croire en l’efficacité des produits homéopathiques?
Daniel Dereser : Depuis 2015, les attaques se sont succédé après un rapport australien qui a été jugé comme étant frauduleux. Dans pratiquement tous les articles du Québec contre l’homéopathie, on mentionne ce rapport. Le château de sable va s’écrouler. Ces révélations vont faire changer les choses. Un premier rapport en 2012, caché par le rapport de 2014 en Australie, et finalement révélé après trois ans de pressions politiques et publiques. À la fin août (2019), on apprenait donc qu’il y avait des preuves encourageantes de l’efficacité de l’homéopathie dans cinq conditions de santé. Du même coup, la PDG de l’agence australienne a indiqué que le rapport 2014 n’a jamais conclu à l’inefficacité de l’homéopathie, malgré les déclarations qui ont pu suivre par après.
En tant que médecin de famille, il n’est pas possible pour vous de prescrire des produits homéopathiques?
Christiane Laberge : Il ne faut pas qu’il existe d’autres traitements qui sont prouvés efficaces pour le suggérer. En théorie, ce n’est pas clair, ce qui est toléré, à condition qu’il n’existe aucun autre traitement ayant fait ses preuves sur données probantes. Au même titre que je suggérerais à une personne qui aime la lecture et qui n’est pas capable de lire le soir plus de 4 pages, elle s’endort, de lire 4 pages.
Daniel Dereser : Pendant très longtemps, on parlait d’alternative. Aujourd’hui, ce concept est fini. Les Québécois combinent et intègrent la médecine traditionnelle avec des thérapies complémentaires, l’acuponcture, l’ostéopathie, l’homéopathie … Ce n’est plus une thérapie contre l’autre thérapie; désormais, c’est une thérapie avec une autre. L’homéopathie ne traite pas le cancer, l’homéopathie ne remplace pas la vaccination, on ne remplace pas l’insuline par un produit homéopathique. Par contre, on voit souvent un patient cancéreux qui a une meilleure tolérance à son traitement de chimiothérapie parce qu’il utilise des produits homéopathiques pour les effets secondaires de la chimiothérapie, comme un traitement de support. C’est là que cela devient intéressant.
Vous êtes une menace pour les compagnies pharmaceutiques?
Daniel Dereser : Le chiffre d’affaires d’une année de Boiron Canada représente le chiffre d’affaires d’une journée d’un grand laboratoire pharmaceutique au Canada. On se trompe de débat lorsqu’on parle de gros laboratoire. L’homéopathie, ce sont des petites entreprises.
Vous avez quand même des moyens, pourquoi ne pas valider vos produits par des études pharmaceutiques? L’homéopathie, c’est 13 400 publications, plus de 9 500 recherches cliniques sur l’homéopathie. Qu’on dise qu’il n’y a pas d’études, ce n’est pas vrai. Chez Boiron, on investit sur l’éducation et la recherche. On a fait une étude épidémiologique au niveau mondial sur le stress et la dépression, sur la douleur. Sur nos 1800 références, nos produits en tablette ont eu soit une étude scientifique, observationnelle, soit c’est un référent homéopathique qui a plus de 200 ans. Cliniques, épidémiologiques, chimiques, elles sont là, les études.
Paul Labrèche : On ne fait pas une étude sur un remède homéopathique. C’est en étude conventionnelle qu’on fait ça. En homéopathie, on regarde ce qui est efficace sur les adultes. On regarde si l’homéopathie est efficace et non pas si le produit X est efficace, alors qu’en médecine conventionnelle, on a un médicament X qui a un effet Y sur les patients.
Y a-t-il des formations au Québec pour devenir homéopathe?
Paul Labrèche : Oui, il y a de la formation actuellement pour être homéopathe au Québec. Une école donne une formation en anglais reconnue par le syndicat. L’un des critères est un enseignement minimal de 1500 heures. Aussi, il y a quelques centres de formation francophones qui, malheureusement, ne répondent pas à nos normes. Donc, les gens qui sortent de cette formation ne peuvent pas être membres du syndicat. En l’absence d’ordre, on a quand même un cadre pour encadrer la profession et assurer une certaine rigueur dans la pratique. On a ce genre de formation, on a un code de déontologie, un comité de conciliation qui va recevoir les plaintes du public, une politique de développement professionnel continu. Nous avons actuellement 125 membres. On avait plus de membres dans les années 90, mais le fait que l’homéopathie depuis cette période a connu des moments difficiles, le nombre de membres a diminué et comme les homéopathes ne sont pas obligés d’être membres, il y a des gens qui pratiquent sans l’être. Ils se donnent le titre, mais ils ont une formation insuffisante. Ils ont le droit, car il n’y a pas de réglementation. Au Québec actuellement, je peux aller me chercher trois livres d’homéopathie et m’ouvrir une pratique demain. Personne ne va agir sur ça. C’est dommage, les gens qui vont aller voir ces pseudo-homéopathes, cela amène moins de crédibilité à notre pratique.
Daniel Dereser : Pour la protection du public, il faut que les homéopathes soient bien encadrés comme en Ontario. Réglementer et protéger le public, démystifier et enfin dire qu’il y a de la recherche en homéopathie : 13 400 publications, 9 500 études cliniques qui existent : on ne peut pas les rayer de la carte.
Christiane Laberge : Est-ce qu’on sait comment ça marche, l’acuponcture? Non, pas vraiment. On a eu cette discussion avec le Collège des médecins. Puis maintenant, c‘est enseigné. Est-ce qu’on sait comment ça marche aujourd’hui? La réponse est toujours non. Au niveau de l’homéopathie, c’est un peu la même chose. Est-ce qu’il y a une explication par A + B pour savoir comment ça marche, non, mais en médecine, on a prescrit de l’aspirine pendant combien de temps avant de savoir comment ça marche? Et même encore aujourd’hui, est-ce qu’on sait comment ça marche? Pas à 100 %. On a pensé qu’avec la résonance magnétique, on verrait tous les cancers. Eh bien non, on en manque, on pensait qu’avec les microscopes électroniques, on verrait toutes les molécules, eh bien non! Il y a plein de médecins et leur famille qui vont en ostéopathie, car ils ont vu que cela a fonctionné.
Ce qui se passe en France, avec le déremboursement progressif de l’homéopathie, est-ce que cela aura des influences pour Boiron Canada?
Daniel Dereser : En France, les ventes ont diminué, est-ce qu’il y a un impact économique? Oui, mais on a gardé tout le monde et on a même embauché, car on se bat pour les employés et pour les patients. J’en ai eu des hauts et des bas. Je regarde les choses à long terme. Ce n’est pas grave. À la fin, le patient choisit et prend ce qui marche. Les mamans n’ont aucune patience avec les produits qui ne marchent pas. L’homéopathie, c’est non toxique et ça marche. Si cela ne marchait pas, on disparaîtrait.
Vous avez bon espoir de voir la profession d’homéopathe réglementée?
Paul Labrèche : Cela fait 30 ans que l’on regarde de près d’avoir un ordre. Nous avions fait une première demande en 1993 et il y a des démarches faites de manière régulière auprès des gouvernements pour faire reconnaître la profession, mais on est rendus à une autre étape. Je crois que la présence de M. Mulcair relance le dossier et lui donne un certain point. Nous comptons profiter de cette opportunité.