Cancer et COVID-19 : Des patients sacrifiés
Selon un rapport interne du Ministère de la Santé rendu public en septembre, au moins 5000 cancers n’ont pas été dépistés à cause des arrêts de service, en réponse à la COVID-19.
Le 21 septembre dernier, le Dr. Martin Champagne, président de l’Association des médecins hématologues et oncologues du Québec, faisait état des préoccupations généralisées : « Le prix à payer va être immense (…) il y a des patients qui (avaient la) maladie (sous sa forme) curative, (dont) le traitement est maintenant de nature palliatif (…) Pendant des années, on va observer plus de rechutes, des traitements plus lourds pour certains patients et une mortalité qui va
s’accentuer. »
Des données alarmantes
Entre avril et juin 2020, le nombre de chirurgies propres au cancer du sein et du poumon a été réduit de 18 %, et de 30 % pour les cancers colorectaux. Quant aux programme de dépistages de ces cancers, ils ont été mis à l’arrêt dans les derniers mois, et n’ont pas repris. Cette nouvelle est tombée à l’aube de la 2ème vague, qui n’est rien pour améliorer la situation.
Le nombre de rapports de pathologie a baissé de 20 %. Celui des coloscopies qui permettent de détecter les cancers digestifs, lui, de 66 %.
En entrevue avec le journal, la Directrice générale de la Coalition Priorité Cancer au Québec, Eva Villalba, explique que l’organisation a mené un sondage en avril et en mai afin de connaître « l’impact des mesures d’urgence sur les patients » auprès d’un échantillon de 554 répondants, révélant que la moitié de ces patients sondés estimaient déjà avoir subi le contrecoup du ralentissement causé par la pandémie. La plupart d’entre eux souffriraient encore d’anxiété générée par la COVID-19.
« Les départements en imagerie et diagnostic ont été fermés. Les départements ouverts ne le sont que partiellement, et les dépistages n’ont pas été considérés comme une étape urgente. On parle d’au moins 5000 cas de cancers qui sont passés sous le radar cette année, mais ce nombre augmente. Sur le terrain, nous rencontrons et parlons à des médecins et patients qui ont dû se tourner vers des interventions plus invasives que s’il y avait eu une prise en charge dans les délais prescrits. »
Le son de cloche des oncologues
Dr Sarkis Meterissian, chirurgien-oncologue au Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et co-directeur scientifique de la Fondation cancer du sein du Québec, dresse un portrait net de l’impact qu’ont eu les mesures sanitaires sur les chirurgies. « Avec la pandémie, le problème a été la fermeture des lits. Toutes les opérations qui avaient besoin de l’admission d’un patient ont été reportées. Pour le cancer du sein, on a eu moins de problèmes en ce sens, parce que l’on n’avait pas besoin d’admettre les patientes. J’ai même opéré plus de patientes pour un cancer du sein qu’à l’habitude, car j’en faisais moins pour ceux atteints des types de cancers thoracique (du poumon), colorectal, urologique et gynécologique, étant donné qu’ils nécessitaient des lits. Avec la première vague, le gouvernement avait monopolisé 8000 lits par anticipation. Heureusement, maintenant, il a compris son erreur, et a libéré des lits pour n’en garder que 2000. »
Lorsqu’on demande au chirurgien-oncologue si certains de ses patient(e)s font partie de ceux dont l’attente de soins a fait progresser la maladie au stade incurable alors qu’elle était traitable, il répond que « non, heureusement. Chez nous au CUSM, on a pu réchapper les patientes que l’on n’avait pas pu opérer durant la première vague, et qui étaient restées sur la liste d’attente. Je me dis que ce sera moins pire lors de la deuxième vague, car nous aurons plus de lits disponibles pour admettre les patients. »
Dr José Ayllon, radio-oncologue à l’Hôpital Charles LeMoyne, fait valoir qu’en radiothérapie et en chimiothérapie, il n’y a pas eu de problème majeur, car ces départements n’ont pas eu d’interruption de service. « Dans ma spécialité, on dépend surtout des images, ce qui fait que c’est moins problématique. La seule chose qui nous a ralentis et beaucoup désorganisés a été le télétravail, car il a fallu s’outiller de plateformes de communication à distance, et de caméras compatibles aux systèmes informatiques de l’hôpital que l’on n’a toujours pas. »
« Le gouvernement a vraiment échoué » – Eva Villalba
Un laxisme prolongé
Eva Villalba déplore aussi le fait que le Registre québécois du cancer (RQC) censé renseigner sur les données normatives et cliniques relatives à la cancérologie au Québec, s’en remette à des études datant de 2012. « Nous sommes la seule province à ne pas avoir de données récentes sur les cas en cancérologie. Le gouvernement a vraiment échoué. On se dit innovateurs et développés, mais on a des outils désuets. On espère vraiment que le ministre Dubé mettra de l’ordre au sein des dispositifs d’information de son ministère. On en est encore au fax ! »
La Coalition a émis 2 rapports présentés au ministère de la santé, dans lesquels elle fait plusieurs recommandations. Le gouvernement en a appliqué quelques-unes en procédant à une réouverture partielle en imagerie et en chirurgie, mais ce n’est pas suffisant. « Il nous faut un plan dédié à la cancérologie. »
Le ministère en décalage
À la sortie de la première vague, le plan de Monsieur Dubé faisait état des personnes vulnérables « sans mentionner les patients en cancérologie. Ça nous inquiète ! Le délai normal pour une opération en cancérologie est de 56 jours. C’est beaucoup plus long que ça, malheureusement. La tendance a été au découragement des patients de se faire dépister. » On se rappelle des points de presse où l’ancienne ministre de la santé, Danielle McCann, sommait les Québécois de consulter leur médecin de famille, comme s’il s’agissait de la solution idéale pour pallier le manque d’accès aux soins spécialisés. Or, comme l’explique Madame Villalba, « le médecin de famille ne peut que nous référer aux médecins spécialistes, sans garantie que l’on aura accès à leurs soins dans des délais raisonnables. Ce sont des mois d’attente pour une intervention pourtant nécessaire. »
Ces délais et orientations trop générales vers les dispositifs de soulagement du système ont eu pour effet de permettre à plusieurs cancers de stade 2 de se développer au stade 3, sans compter les conséquences à long terme des retards sur les traitements des patients. « Même lorsqu’il s’agissait seulement d’une prise de sang, les patients en cancérologie étaient redirigés vers les hôpitaux où le risque de contagion est élevé, les CLSC étant alors fermés. » Des patients atteints du cancer résidant à Saint-Bruno, Saint-Basile et Sainte-Julie qui, en temps normal, auraient été faire leurs prises de sang au CLSC des Patriotes ou au CLSC des Seigneuries, devaient plutôt se rendre dans des hôpitaux à l’extérieur du territoire, et s’exposer aux risques plus élevés.
Pour la Fondation du cancer du sein du Québec, le changement de ministre a été vécu comme une remise des compteurs à zéro, il a alors fallu tout recommencer. « Alors que Madame McCann commençait à se montrer réceptive, elle a été remplacée par Monsieur Dubé, auprès de qui nous avons dû refaire toutes nos démarches. Il a éventuellement aussi commencé à faire preuve d’ouverture, pour créer un sous-comité en cancérologie, mais dont les retombées ont été peu concluantes. »
Le mouvement anti-masque, ennemi des patients
La combinaison de la peur d’être contaminé par le coronavirus et de celle de voir son cancer évoluer dangereusement, est de plus en plus insoutenable. « Puisqu’il font partie de la population plus vulnérables, les patients atteints d’un cancer sont d’autant plus craintifs et anxieux devant le mouvement anti-masque », relève Madame Villalba. Elle soutient que plusieurs patients vivant dans la région métropolitaine de Montréal se sentent « prisonniers de leur maison » à cause des militants anti-masques qui y sont concentrés.
La télémédecine, surfaite
« Il y avait 2 enjeux avec la COVID : d’abord, l’inhabilité d’opérer. Ensuite, l’arrêt des diagnostics. Il n’y avait pas d’accès physique aux médecins de famille pour plusieurs patients. On l’a remplacé par de la télémédecine, qui semble exciter tout le monde. C’est impossible d’examiner quelqu’un en téléconsultation. », déplore Dr Meterissian. « On ne devrait pas se montrer si enthousiaste pour la télémédecine. On ne peut pas faire l’examen des seins ou de la prostate au téléphone ! Pour les cancers du sein, les femmes n’ont pas pu avoir de mammographie de la mi-mars jusqu’à la mi-juin. On note beaucoup plus de cancers du sein et de mélanomes (cancers de la peau) un peu plus avancés que la normale parce qu’ils ont été diagnostiqués 4 à 5 mois en retard. »
Se méfier de la COVID sans oublier le reste
Finalement, Madame Villalba rappelle aussi que tous les patients souffrant de maladies chroniques comme le Parkinson, sont, comme ceux atteints du cancer, plus vulnérables parce qu’ils nécessitent une prise en charge en continue et n’ont plus cet accompagnement. Changer le mal de place ne devrait pas être la voie à emprunter.