Chronique finance : la puissance perverse des incitatifs
Je suis en train de lire le nouveau livre de Yuval Noah Harari, Nexus. Harari est également l’auteur de Sapiens et de 21 Lessons for the 21st Century.
J’adore les livres d’Harari, non seulement parce qu’ils sont très bien écrits, mais surtout parce qu’ils m’apprennent beaucoup de nouvelles choses et me font réfléchir. Je reviendrai sans doute sur Nexus après l’avoir terminé.
Une des facettes fascinantes du livre concerne la puissance perverse des réseaux sociaux. On m’a souvent demandé pourquoi nous n’avons jamais investi dans les réseaux sociaux chez COTE 100. En réalité, nous l’avons sérieusement envisagé à plusieurs reprises. Nous ne l’avons pas fait pour des raisons éthiques. La lecture de Nexus me confirme que nous ne voudrions pas être actionnaires de sociétés exploitant des réseaux sociaux, car j’ai de graves réserves sur leurs modèles d’affaires.
J’ai déjà écrit sur l’influence des incitatifs sur le comportement humain, notamment à propos du scandale Volkswagen il y a plusieurs années. Mon idole, Charlie Munger, a souvent répété que les gens ont tendance à faire ce pour quoi ils sont incités : « Montrez-moi les incitatifs et je vous montrerai les résultats. » Il a également dit : « Si vous voulez attirer des fourmis, mettez du sucre par terre », pour illustrer que les incitatifs financiers, s’ils ne sont pas éthiques, conduisent souvent à des comportements malveillants.
Le moteur du modèle d’affaires des réseaux sociaux tels que Facebook est l’engagement de ses utilisateurs. Plus un usager passe de temps et est actif sur un réseau social, plus la société qui exploite ce réseau collecte des informations qu’elle utilise pour vendre des publicités. Jusqu’ici, tout va bien. Le gros problème est que Facebook et d’autres réseaux sociaux, tels que X, YouTube et TikTok, ont développé des algorithmes dont le principal objectif est de maximiser l’engagement des utilisateurs. Or, ces algorithmes ont rapidement compris que les messages qui suscitent le plus d’engagement sont ceux de haine et de fausses nouvelles (« fake news »). Si vous souhaitez que l’on remarque votre post sur un réseau social, rendez-le radical, haineux et faux, et il y a de fortes chances qu’il devienne viral.
Au lendemain des élections américaines et d’une campagne vitriolique, je me demandais ce qui pouvait expliquer que le peuple américain soit aussi divisé et que chaque camp soit aussi solidement ancré. Le livre d’Harari me fournit une partie de la réponse : les réseaux sociaux.
Tant que ces réseaux sociaux auront pour objectif de maximiser le trafic et l’engagement de leurs utilisateurs, je crois qu’ils continueront de diviser la population en la désinformant et en la radicalisant. Tant que cela sera le cas, ces réseaux seront ni plus ni moins dangereux pour le tissu social, pour notre démocratie et nos institutions.
Je crois que nous avons pris la bonne décision de ne pas investir dans les réseaux sociaux. Tant que le modèle d’affaires de ces derniers ne changera pas drastiquement, je ne pense pas que nous le ferons.