Le calme après la tempête : histoire d’une famille de réfugiés à Saint-Bruno

Au terme de près de huit ans d’attente, une famille congolaise vivant dans un camp de réfugiés depuis 2015, en Zambie, est arrivée à Saint-Bruno-de-Montarville le 17 octobre. Après lui avoir laissé le temps de s’installer dans sa nouvelle demeure, le journal est allé à sa rencontre. 

La famille de Patrick et Carine Onsur a désormais ses petites habitudes à Saint-Bruno. Tous les matins, leurs jumelles de huit ans et leur garçon de cinq ans se rendent au coin de la rue pour prendre l’autobus vers l’école. Un rendez-vous qui n’est pas encore celui du petit dernier de trois ans. Le neveu du couple, Gracia, fait partie de la famille après avoir perdu ses parents. Lui aussi prend ses marques dans sa nouvelle vie. Il pratique sa passion, le soccer, à l’AS Montis. Il a trouvé un travail d’emballeur au IGA de Saint-Bruno et il poursuit des cours de francisation.

Carine, infirmière au Congo, a trouvé un travail au Manoir Saint-Bruno. Pour Patrick, bien que très heureux d’avoir enfin trouvé la tranquillité d’une ville paisible, le travail, ce ne sera pas pour tout de suite. Au Congo, il ne lui restait qu’une année de stage en médecine, après six ans d’études, avant d’enfiler sa blouse blanche. Le sort en aura décidé autrement pour lui et sa famille. Sans diplôme officiel, aucune reconnaissance ne lui est accordée ici. C’est pour cela qu’à 38 ans, il envisage de reprendre ses études au cégep. Même si la famille nous accueille avec un sourire retrouvé, les cicatrices du passé sont encore vives.

En danger

Au Congo, tout allait bien pour la famille. Même s’il régnait un sentiment d’insécurité sous la présidence de Joseph Kabila, Carine étudiait en soins infirmiers et Patrick n’avait plus qu’une année de stage en médecine à faire. Mais tout a basculé en mars 2015. « On était chez nous, avec nos jumelles qui étaient nées. Vers deux heures du matin, nous avons été réveillés par une très forte odeur dans le quartier. Nous avions du mal à respirer. L’odeur provenait du cimetière. Avec des amis, nous avons décidé d’aller voir », nous explique Patrick, qui, dès le début de son récit, a perdu le sourire de son accueil. En plein après-midi, alors que la famille nous reçoit dans sa maison, trouvée in extremis par l’Action communautaire pour les réfugiés à Saint-Bruno-de-Montarville, une journée ensoleillée, tous les rideaux sont fermés.

En poursuivant son récit, le père de famille nous explique qu’en arrivant sur les lieux, les jeunes hommes voient des camions militaires verser des corps en putréfaction dans un trou. Le nombre de victimes suffisait à rendre l’air irrespirable. « Des militaires, en nous voyant, nous ont dit d’évacuer. Nous sommes rentrés chez nous sans nous poser trop de questions. » Finalement, l’histoire se fait connaître et attire la presse internationale et l’ONU, qui viennent voir ce qui s’est déroulé dans ce village. Les journalistes donnent la parole à des témoins, dont feront partie Patrick et ses amis. Une semaine plus tard, « Très tard dans la nuit, des militaires frappent violemment à ma porte et la défoncent. » Ils violentent Carine, qui est avec ses deux filles, pour finalement embarquer Patrick dans un camion militaire où se trouvaient déjà ses trois amis.

Torturé

« Tu as trahi le pays! », voilà la phrase que les militaires n’ont pas cessé de répéter au prisonnier pendant trois jours de séquestration et de torture. L’heure du repas correspondait, matin et soir, aux heures de supplice que devaient endurer les quatre prisonniers. Sans espoir de s’en tirer, c’est un passage à l’infirmerie, après s’être évanoui sous la douleur, que Patrick entrevoit une porte de sortie. « L’infirmière venait de la même province que moi. Dans un élan d’humanité, elle m’a laissé fuir. » Patrick ne tarde pas à retrouver sa famille pour filer vers la partie est du Congo, dans le sud de Kivu, une zone rebelle, où il a de la famille dans l’armée. Il y restera quelques mois avant d’être repéré par les Forces militaires. Avec l’aide de son hébergeur, la famille réussit encore une fois à s’enfuir du pays, cette fois en laissant tout derrière elle. Direction, un camp de réfugiés tenu par l’ONU en Zambie. « Nous avons été un mois en transit avant que l’on nous donne une tente et un espace dans le camp. Nous y sommes restés de 2015 à 2023. Quand nous sommes partis, il y avait des personnes qui y résidaient depuis 30 ans. »

La délivrance

Chrétien, Patrick avait déjà reçu une bourse d’études des Pères jésuites quant il était au Congo. Un contact qu’il n’a jamais rompu même dans ces moments difficiles. C’est là que l’Action communautaire pour les réfugiés à Saint-Bruno-de-Montarville est arrivée dans la vie de cette famille.

« Après avoir accueilli des Syriens, avec des démarches qui ont été assez rapides, nous voulions vraiment faire une différence auprès d’une famille qui était en grande difficulté. C’est là que nous avons pensé à contacter la paroisse les Jésuites de Montréal. Le lien s’est fait ainsi, à la veille de la pandémie. Nous avons eu trois ans de conversations au téléphone avec la famille avant de pouvoir l’accueillir à l’aéroport de Montréal. Ce temps nous a permis de faire des levées de fonds pour arriver à la recevoir, à lui trouver un logement », explique Guy Gagnon, un des créateurs de l’organisme.

Au sein du camp, la nouvelle est accueillie comme une délivrance. Le voyage au Canada est dans toutes les têtes, mais pas un mot du projet avant le départ, trop dangereux. À l’heure du départ. « C’était la première fois que je voyais un gros avion. Nous avons pris conscience de ce qui nous arrivait vraiment en sortant de l’hôtel, où nous avions passé la nuit proche de l’aéroport, pour prendre l’avion. C’était un passage de l’obscurité à la lumière. Aujourd’hui, nous sommes peut-être les réfugiés les plus chanceux du monde. »