En texte et en photos: projet de réinsertion de la rainette faux-grillon au parc national
La rainette faux-grillon n’était plus présente depuis plusieurs années au parc national du Mont-Saint-Bruno; des experts tentent cependant de la réintroduire dans le milieu.
L’équipe du journal Les Versants a eu un accès privilégié à ce site, qui est hors des sentiers de la Sépaq durant la saison estivale. « L’hiver, ce sont des sentiers de raquette et avec la neige, il n’y a pas de risques pour les rainettes », indique celle qui agit comme guide dans cette expédition pour trouver les grenouilles, Sophie Tessier. Elle est coordinatrice à la conservation et à l’éducation pour les parcs nationaux des Îles-de-Boucherville et du Mont-Saint-Bruno.
L’un de ses sujets de conservation du moment – la rainette faux-grillon – est également propice à beaucoup d’attention médiatique et scientifique. Pourquoi tous ces projecteurs pour un amphibien de 2,5 cm? « La rainette est comme une ambassadrice de son milieu », répond Mme Tessier. « C’est un peu comme un avion. Si l’on retire un boulon de l’appareil, il va continuer à voler. Mais au fur et à mesure que des boulons tombent, des parties plus importantes de l’avion sont compromises et il risque de finalement perdre un moteur et s’écraser. »
« La rainette est comme une ambassadrice de son milieu »
– Sophie Tessier
Ainsi, lorsqu’une espèce comme la rainette disparaît d’un écosystème, ce sont toutes les autres qui se trouvent dans le milieu qui deviennent à risque de subir le même sort à plus ou moins long terme. Car tout est interrelié dans un milieu naturel, comme dans tout système.
C’est donc une opération difficile à laquelle participent les professionnels en biologie de diverses organisations pour sauver le petit amphibien. Le ministère des Forêts, la Fondation du mont Saint-Bruno, le Biodôme de Montréal, l’Université Laval, l’Université d’Ottawa et la Sépaq sont tous plus ou moins impliqués dans le processus, qui a débuté en 2015 et 2016.
L’objectif de la mission : réussir à recréer au cœur du mont Saint-Bruno un environnement où la rainette pourra vivre à nouveau. Déjà, si le projet ne contenait que cette étape, ce serait complexe. « Il a fallu aller observer le milieu où vit naturellement cette rainette afin de recréer les mêmes conditions dans les étangs artificiels du mont Saint-Bruno. » Ainsi, les bassins recréés sont notamment munis de drains pour maintenir le niveau de l’eau à la bonne hauteur, en plus de bénéficier de cachettes pour que les rainettes puissent hiberner durant l’hiver.
Reproduction et déménagement
L’étape suivante était de faire se reproduire les grenouilles en nombre suffisant pour les amener dans lesdits étangs. Des experts en la matière ont procédé à cette étape au Biodôme de Montréal, après avoir « récolté » des rainettes faux-grillons qui vivent dans le bassin versant du mont Saint-Bruno.
Après une soixantaine de jours de développement contrôlé, les amphibiens ont été introduits, en juillet 2021, dans les étangs créés pour eux dans un secteur isolé du parc. Au total, les rainettes étaient 732 en 2021. Les chercheurs ont pris soin d’identifier chaque grenouille afin de savoir, lors d’observations en 2022, si ce sont les mêmes individus qui revenaient. « Les experts ne s’entendent pas sur la longévité de cette espèce de grenouille. Cette étude pourrait donc nous aider à avoir une meilleure idée de sa durée de vie », dit Sophie Tessier.
Une marche d’une trentaine de minutes est nécessaire avant que la biologiste de la Sépaq indique que les étangs sont à proximité. Le premier réservoir artificiel est ceinturé par un genre de clôture en caoutchouc, qui sert de point d’observation pour que les chercheurs voient les rainettes qui tentent d’accéder à d’autres étangs ou sections du parc. Dans l’eau se trouvent des dizaines de têtards, qui pourraient être des bébés rainettes faux-grillons, mais pas forcément; d’autres espèces de grenouilles résident aussi dans le parc national.
Météo préoccupante
Les chercheurs ont réussi à entendre le chant de la rainette faux-grillon cette année; une bonne nouvelle qui indique que la réinsertion pourrait fonctionner.
Or, la météo des jours à venir pourrait affecter positivement ou négativement la suite des choses, surtout en ce qui a trait au niveau de l’eau. Car s’il ne pleut pas, les étangs pourraient s’assécher et les rainettes pourraient mourir. « On a craint qu’elles ne soient plus là après le printemps sec et chaud que nous avons eu l’an dernier. » Et le scénario semble difficile pour l’année en cours également, avec des températures assez chaudes déjà observées alors que le mois de mai n’est pas encore terminé. Mais les premières observations des experts sont encourageantes pour le moment.
Espèce en danger
La population de rainettes est éteinte dans la majorité des endroits où cette espèce vivait autrefois. On la trouvait en Outaouais et en Montérégie et son chant, semblable au son produit lorsqu’on passe un ongle sur les pics d’un peigne, grouillait dans les milieux humides de ces régions.
Victime du développement des banlieues dans des territoires qui étaient autrefois des milieux humides, elle a disparu peu à peu. Désormais, l’une des plus grandes populations de cette espèce se trouve dans le boisé du Tremblay, à Longueuil.
Mais, comme le souligne Sophie Tessier, l’actualité continue de montrer que le milieu de vie de ces grenouilles est menacé. « Il ne se passe pas beaucoup de temps avant que l’on entende que le CN a effectué des travaux et remblayé un milieu humide où vivaient les rainettes, ou encore que la construction sur le boulevard Béliveau, à Longueuil, met leur milieu en danger. »
Nous quittons finalement le parc national du Mont-Saint-Bruno sans avoir vu de rainettes faux-grillons. L’excursion a toutefois permis de comprendre que les efforts nécessaires à remplacer un milieu naturel bien établi après l’avoir détruit sont grandement supérieurs à ceux de conservation de ces milieux naturels essentiels.