Qui procède à la liquidation de Postes Canada?

C’est maintenant l’été, la saison des ventes de garage. Une vente de garage, c’est l’occasion de trouver de bonnes aubaines. Les gens arrivent en trombe, s’emparent de tout ce qui a de la valeur et repartent aussitôt en ne prêtant aucunement attention aux articles moins intéressants. Dans le même ordre d’idées, certains experts veulent que le gouvernement privatise ou déréglemente Postes Canada, ce qui permettrait à des intérêts privés de s’approprier les parties les plus rentables de la société d’État, sans tenir compte du fait que ce sont justement les profits tirés de ces secteurs rentables qui paient pour les secteurs non rentables.

Postes Canada possède le plus important réseau de vente au détail au pays et son image de marque bénéficie d’une reconnaissance des plus enviables. Au moment de prendre les rênes de la société d’État, le nouveau président-directeur général, Deepak Chopra, s’était engagé à tirer profit de ce vaste réseau. Malheureusement, il n’a pas fait grand-chose en ce sens, si ce n’est la promotion de Postel. Compte tenu de l’absence d’une vision d’avenir pour Postes Canada, les cris réclamant sa privatisation et sa déréglementation se font de plus en plus forts.

On peut déjà parler de privatisation à la pièce lorsque des bureaux de poste traditionnels ferment leurs portes et sont remplacés par des comptoirs postaux dans des pharmacies et des dépanneurs. Ces comptoirs, et le personnel mal payé qui y travaille, vont et viennent selon le bon gré de l’exploitant privé. En raison de cette situation, il devient difficile de tenir le service postal responsable comme il devrait l’être. En ce qui concerne la déréglementation, le gouvernement a déréglementé les lettres du régime international en 2010 et il y aura sans doute de nouvelles pressions en faveur de la déréglementation durant l’examen du Protocole du service postal canadien en 2014.

Mais d’où proviennent ces pressions? Certainement pas de la population. En 2008, 69 % de la population canadienne s’est prononcée contre la déréglementation. Même l’été dernier, au moment où Postes Canada imposait un lock-out à 50 000 travailleuses et travailleurs, 65 % de la population s’opposait à la privatisation, et ce, à un moment où le désenchantement public à l’égard du service postal aurait dû se trouver à son niveau le plus élevé.

Si la majorité des Canadiennes et Canadiens ne veulent pas vendre leur service postal, alors qui désire une telle chose? En fait, ils ne sont que quelques-uns, mais ils en font une véritable obsession. Michael Warren, ancien président-directeur général de Postes Canada, fait régulièrement retentir le tambour de la privatisation. Pour faire valoir son point de vue, il n’a pas hésité à utiliser récemment le premier budget déficitaire de la Société depuis 17 ans, négligeant de mentionner que cette baisse de revenus était attribuable à des paiements non récurrents. Il y a aussi Edward M. Iacobucci et Michael J. Trebilcock de l’Institut C. D. Howe, un organisme de droite qui prône le recours à la privatisation comme s’il s’agissait d’une quelconque potion magique.

Nous ne devons pas nous laisser berner par les vagues histoires de succès et les allégations encore plus nébuleuses d’efficacité. Très peu de services postaux nationaux ont été privatisés avec succès. La Grande-Bretagne et le Japon essaient actuellement d’y parvenir, mais leur parcours est beaucoup plus cahoteux que prévu. Les Pays-Bas ont vendu leur réseau de messageries, TNT, à UPS en échange d’une injection de fonds ponctuelle.

Il en a résulté une situation chaotique où des familles effectuent le tri du courrier public dans leur cuisine, empilant les enveloppes sur des égouttoirs à vaisselle. Aux Pays-Bas, la privatisation est un véritable cauchemar. Il en va de même en Argentine, au point où le gouvernement a de nouveau nationalisé son service postal.

Les résultats de la déréglementation ne sont guère plus reluisants, même en Nouvelle-Zélande où le service postal doit ses succès à sa banque postale, qui est très populaire. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes encourage Postes Canada à rétablir et à étendre la caisse d’épargne postale du Canada comme moyen de relever les défis financiers du service postal public.

Notre service postal national doit tenir compte de l’immense territoire canadien et des nombreuses collectivités qui se trouvent en région éloignée. Confrontés à cette réalité, les partisans de la privatisation admettent que le service postal dont bénéficient ces collectivités serait « relâché », pour reprendre l’expression utilisée par l’Institut C. D. Howe. Arrêtons-nous un instant pour réfléchir à ce que cela signifie réellement. À l’heure actuelle, Postes Canada livre le courrier « de partout… jusqu’à vous », peu importe que vous habitiez en milieu urbain ou que votre boîte aux lettres rurale se trouve sur le bord d’une route à deux voies. Si cette obligation de livrer le courrier partout au pays devait être « relâchée », on ne sait pas trop de quelle manière les populations des régions rurales obtiendront leur courrier. Les partisans de la privatisation prétendent pouvoir y arriver au moyen de « subventions ciblées » visant les itinéraires qui ne sont pas rentables, c’est-à-dire à l’aide de mesures incitatives destinées aux entreprises privées comme UPS et FedEx. De quelle manière une telle démarche pourrait-elle être plus économique ou plus efficace que le service postal universel actuel? FedEx et UPS confient déjà à Postes Canada la dernière portion du processus de livraison pour les envois dont le destinataire se trouve en région éloignée. Il s’agit d’un dédoublement inutile qui ne fait qu’augmenter les coûts et accroître la pollution. Où est l’efficacité dans tout cela?

Contrairement à ce que les partisans de la privatisation et de la déréglementation voudraient nous faire croire, Postes Canada n’est pas un désastre financier. Toutefois, les volumes de courrier continuent de diminuer. Ce dont nous avons besoin de la part de Deepak Chopra, ce n’est pas une affiche annonçant une vente de garage, mais une véritable vision qui tienne compte des meilleurs intérêts de la population canadienne.

 

Denis Lemelin

Président national

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes