Les saines habitudes de vie pour soigner notre santé mentale
Selon l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ), en 2020, les Québécois ont consommé plus de 525 millions de comprimés d’antidépresseurs, une hausse de 7,3 % par rapport à l’année précédente. Existe-t-il d’autres options?
Le 10 octobre marquait la Journée mondiale de la santé mentale.
Il y a quelques mois, un livre d’une journaliste française, Ariane Denoyel, Génération zombie – Enquête sur le scandale des antidépresseurs, aux Éditions Fayard, mettait en garde contre la méconnaissance du public sur ces substances pour soigner la santé mentale, « des médicaments souvent peu efficaces », indique l’auteure sur la qu atrième de couverture, et « qui peuvent être très dangereux : émotions anéanties, tendances suicidaires, pulsions de violence… ».
Saines habitudes de vie
Pour Julie Loslier, directrice de la santé publique de la Montérégie, « la santé publique s’intéresse aux facteurs qui seront à la source d’une moins bonne santé mentale, pas aux antidépresseurs. On parle de facteurs de risque, on parle aussi de facteurs de dépression ». Elle est cependant en accord pour dire que de saines habitudes de vie favorisent la bonne santé mentale. « Une bonne santé mentale, ça se travaille dès l’enfance. À partir du moment où l’on travaille avec les jeunes sur l’estime de soi, la résolution de problèmes, on travaille les racines d’une santé mentale positive. Quand on parle de saines habitudes de vie, il faut faire attention de ne pas se concentrer seulement sur la saine alimentation et les activités physiques. Il faut penser aussi au sommeil, au temps écran, à la consommation de psychotropes et, malheureusement, la pandémie a eu un effet important sur la consommation de psychotropes, surtout l’alcool. Ce sont toutes ces habitudes-là qu’il faut prendre en considération. »
Elle précise que dans la société, il y a des facteurs de risque anxiogènes sur lesquels on peut travailler à la racine « pour diminuer la consommation d’antidépresseurs et, surtout avant ça, pour diminuer les problèmes de santé mentale ».
De son côté, Charles Roy, président du conseil d’administration de l’Associ-ation des psychologues du Québec, chiffre l’inefficacité des antidépresseurs à 70 %. « Ce ne sont pas tous les antidépresseurs qui sont nocifs, mais ils sont inefficaces à 70 %, selon une étude américaine du Journal of the American Medical Association (JAMA), particulièrement pour les dépressions légères et modérées. C’est pertinent pour les cas de dépression sévère, on le voit chez nos clients, mais dans les dépressions légères et modérées, une psychothérapie a un bien meilleur effet. »
M. Roy en appelle au gouvernement afin que celui-ci mette un dispositif en place dans le but d’installer une « pharmaco vigilance. Il faut que les autorités gouvernementales surveillent ça de plus près, que l’on ait plus d’informations, de transparence ».
Le Québec est au-dessus de la moyenne nationale quant à l’utilisation d’antidépresseurs. « Seules les provinces des Maritimes l’emportent sur nous », précise M. Roy.
Les plus jeunes
« Des enquêtes ont été faites par un groupe de chercheurs de l’Université de Sherbrooke, qui ont démontré les effets de la pandémie sur la santé mentale auprès de différents groupes. Toutes les tranches d’âge ont été affectées depuis le début de la pandémie », explique au journal Dre Loslier. Ces études montrent une aggravation des indicateurs de santé mentale de façon graduelle. « Plus on réduit en âge, plus les gens sont fortement atteints. On parle autant des résultats en termes d’anxiété et de dépression que des résultats en fonction d’idéation suicidaire. »
C’est ainsi que Dre Loslier s’inquiète particulièrement de constater qu’un jeune sur deux, entre 18 et 24 ans, en novembre dernier (moment où les indicateurs de l’étude étaient les plus défavorables), était touché. « On en était à des chiffres beaucoup plus bas que ça en prépandémie. Les indicateurs d’idées suicidaires ont même doublé dans presque tous les groupes d’âge. Chez les 65 ans et plus, il y avait moins de détérioration de leur santé mentale. »
Moins de psychologues
Au problème de la pandémie s’ajoute la pénurie de psychologues dans le système public de santé pour soigner à temps la santé mentale, selon M. Roy. « C’est de plus en plus difficile d’avoir une psychothérapie gratuite avec le service public, car on a perdu près de 500 psychologues dans la dernière décennie au sein du réseau de la santé. Quand on a moins de ressources de soutien, c’est sûr que pour le médecin qui est pris avec un patient, ce qu’il lui reste comme solution, ce sont les médicaments. Il y a un risque d’accélération de surprescription. Le médecin prescrira parfois une activité physique, mais les gens ne se sentent pas pris au sérieux.
Cela reste cependant un outil très efficace. La surprescription peut être aussi favorisée par des enjeux éthiques sur la recherche médicale qui ne sont pas respectés. Souvent, les résultats sont biaisés, car il y a présence de conflit d’intérêts. »
Il y avait déjà une bonne saturation des services au privé et au public avant la pandémie, mais avec le lot de troubles anxieux et de dépressions amené par la crise, « il y a eu une surcharge de demandes et beaucoup de psychologues ont dû aviser dans leur boîte vocale qu’ils n’avaient plus de disponibilités. Et pourtant, pour soigner une dépression légère et modérée, il a été démontré par la recherche que la psychothérapie, c’est la solution gagnante qui donne des résultats à long terme.
Par contre, pour la dépression sévère, les antidépresseurs, ce n’est pas un luxe », de préciser M. Roy.
Une priorité
La santé publique de la Montérégie ne tient pas de statistiques quant à l’utilisation d’antidépresseurs dans la région. Cependant, Dre Loslier ne voit pas là un signe indiquant la situation de la santé mentale en Montérégie. « Ce qu’il faut savoir, c’est que la prise d’antidépresseurs est au bout du continuum. Donc, cela m’étonnerait que la hausse de prise d’antidépresseurs soit proportionnelle à la hausse des troubles de santé mentale. Pour avoir la prescription d’un antidépresseur, il faut que les gens reconnaissent leur problème et qu’ils aient la volonté d’aller consulter. Selon moi, ce n’est que la pointe de l’iceberg. »
Dr Loslier est consciente que la santé publique devra ajuster son offre de service en fonction des dommages collatéraux entraînés par la pandémie. « La santé mentale, c’est, selon moi, ce sur quoi on aura à réinvestir le plus. Ce sera le plus gros cheval de bataille, je crois, pour les prochaines années. »
Le journal a contacté l’Ordre des psychiatres du Québec, qui n’a pas répondu à nos questions, indiquant que « tout avait été dit sur le sujet ».