Le « Netflix » de l’école
La pandémie aura transformé l’éducation sur plusieurs volets, orientant le contenu des formations offertes, mais aussi le choix des médiums pour les transmettre aux apprenants.
Tant sur le plan pédagogique qu’auprès des adultes en milieu professionnel, on a dû s’adapter aux nouvelles réalités économiques et sociales et se tourner vers des méthodes de formation plus expérimentales que conventionnelles.
L’école virtuelle
Thierry Karsenti, professeur au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal (UdeM), a quant à lui conçu et mis en place, avec son équipe, la plateforme L’école ouverte (ecoleouverte.ca), accessible depuis le début de la première vague, « pour que parents et élèves puissent choisir l’année d’études et la matière à apprendre ou à consolider, un peu comme sur Netflix, où l’on trouve des contenus bonifiés quotidiennement », peut-on lire dans la présentation du programme sur le site de l’université. Chaque jour, la plateforme enregistrerait pas moins de 20 millions de visites. « Les premières semaines, nous avons enregistré au-delà de 78 millions de visites. C’est la seule plateforme avec autant d’achalandage qui n’est pas tombée au Québec! » M. Karsenti explique que dix serveurs sont nécessaires pour le maintien de son fonctionnement.
« Les premières semaines, nous avons enregistré au-delà de 78 millions de visites. » – Thierry Karsenti
Serait-ce l’école du futur? Une plateforme où, au lieu de choisir un épisode ou de regarder une série en rafale, on choisit son niveau d’études, son programme, et on accumule les diplômes sans jamais avoir à rencontrer de professeur ni à se déplacer?
Seulement un deuxième recours
Pour l’instant, L’école ouverte est surtout sollicitée en tant que ressource secondaire, puisque son usage est laissé à la discrétion des parents et des enseignants. Dans sa vidéo de présentation, le ministre de l’Éducation et député de Chambly, Jean-François Roberge, rappelle ses caractères optionnel et ludique, précisant qu’on y propose des jeux et des activités qui « ne sont pas obligatoires. C’est facultatif ». Au cours des derniers mois, le ministre a adopté une politique insistant sur l’importance de respecter l’individualité de chaque école, plutôt qu’une vision d’homogénéisation. On serait donc encore loin de l’uniformisation des méthodes d’enseignement et de l’imposition d’une école virtuelle pour tous.
Le MOOC pour adultes
En revanche, on semble beaucoup plus rapide à emboîter le pas sur le marché professionnel, en favorisant l’accès à une multitude de formations gratuites et payantes, pour les travailleurs de tous les horizons. On assiste notamment à une explosion du marché des MOOC (Massive Open Online Classes), ces cours virtuels offerts à tous, dans tous les domaines professionnels, et s’étendant sur plusieurs semaines. Parmi les plateformes de MOOC en vogue, on compte Edulib (catalogue.edulib.org), sur laquelle plusieurs universités québécoises offrent maintenant leurs propres MOOC en santé, en économie et en science de l’environnement. Ces cours sans frontières sont offerts aux étudiants de partout dans le monde et font concurrence aux programmes universitaires traditionnels, qui coûtent plusieurs milliers de dollars. Reste à savoir si les acquis et les certificats obtenus après la complétion des MOOC seront un jour reconnus au même titre que les crédits des certificats, baccalauréats, maîtrises et doctorats émis par les universités.
Une opportunité d’affaires
Plusieurs développeurs et entreprises du Web ont vu la pandémie comme une occasion d’exploiter le besoin de renforcement des compétences professionnelles en milieu corporatif, dans un contexte de formation à distance et de télétravail. Au début du mois de novembre dernier, l’humoriste et comédien montarvillois Jérémy Demay annonçait sur les médias sociaux qu’il serait le fier animateur de la nouvelle plateforme de formations SparkTrain. L’avantage de cette offre est que les employeurs peuvent y suivre et commenter la progression de leurs employés, dans une dynamique rétroactive, et que l’entreprise a élaboré son offre de façon adaptée à des secteurs d’activité fortement touchés par la pandémie, dont l’hôtellerie et la restauration. Le bémol de cette proposition est qu’elle se présente sous un format pour dix personnes au minimum, ce qui est moins avantageux pour les petites startups et les travailleurs autonomes.
L’École des dirigeants de HEC Montréal a, elle aussi, pris un virage numérique, pandémie oblige. Son offre vise à répondre directement aux besoins de formation des entreprises. Michelle Vaillancourt, directrice des communications et programmes, explique que l’établissement a « ajouté deux nouvelles façons de se perfectionner : en ligne et en formule comodale. Nous avons équipé nos salles de technologie de pointe. Avec l’aide de X2O Media, nous avons maintenant une plateforme virtuelle qui offre une expérience immersive autant en ligne qu’en salle (…) qui permet aux participants ainsi qu’aux formateurs de vivre une expérience virtuelle engageante. »
Devant cet engouement pour les plateformes numériques, le marché de l’éducation se veut plus compétitif. Les écoles traditionnelles auront le choix d’abdiquer en imitant la tendance, ou de s’accrocher au conservatisme. Reste à voir si l’aspect humain et privilégié des classes en présentiel l’emportera sur la démocratisation numérique du savoir.