Sauver la culture « bâtie »
La tendance politique est à la préservation du patrimoine immobilier, alors que les élus municipaux réitèrent leur engagement en ce sens, et que le gouvernement octroie une aide de 792 000 $ à Saint-Bruno à cette fin.
Le fonds débloqué par le ministère de la Culture et des Communications (MCC) pour le patrimoine de la ville sera réparti sur trois ans. À la fin du mois d’octobre, la ministre Nathalie Roy a d’ailleurs présenté à l’Assemblée nationale son projet de loi 69 visant à mieux protéger le patrimoine bâti, en permettant aux municipalités de jouir de plus de pouvoir quant à la préservation du patrimoine culturel. Dans son communiqué l’annonçant, le ministère dit vouloir éviter les « démolitions impromptues », comme celle de la maison Boileau, à Chambly en 2018, qui avait secoué les Québécois.
L’inventaire
À Saint-Bruno, une centaine de demeures ont été recensées comme ayant une valeur patrimoniale, à degrés variables. La maison de pierre sur la montée Sabourin, qui appartient à la famille Krakus, est considérée comme ayant une forte valeur patrimoniale puisqu’elle a été construite il y a quelques siècles. Le maire de Saint-Bruno, Martin Murray, indique que « le plan d’urbanisme adopté en 2017 commande certaines actions, dont la préservation du patrimoine bâti. Une firme professionnelle a été engagée afin d’obtenir l’inventaire des demeures à valeur patrimoniale, et les propriétaires dont les bâtiments y figurent ont été informés des conclusions de l’évaluation ». La conseillère municipale du district 3, Caroline Cossette, qui siège au Comité consultatif d’urbanisme, en apporte les détails : « Avec la firme Patri-Arch, on avait identifié un inventaire de 229 bâtiments, dont 103 maisons à protéger (7 exceptionnelles, 29 supérieures, 65 bonnes, 2 faible et moyenne). Chaque propriétaire a reçu une fiche concernant la valeur patrimoniale de sa maison. »
La restauration et l’entretien
Le maire explique que la Ville pourra accepter de couvrir les frais de restauration sous réserves du type de transformation et du type de maison. « Dans le règlement, il sera prévu, par exemple, que les pourcentages du remboursement des dépenses admissibles qui seront versés à un propriétaire privé pour les travaux de restauration et de préservation des éléments caractéristiques seront d’un maximum de 60 % jusqu’à concurrence de 25 000 $ (75 % dans certains cas). C’est une aide qui sera variable et qui tiendra compte de différents éléments propres à l’édifice. »
« Si l’on ne tente pas de protéger notre patrimoine bâti, il va disparaître. » – Caroline Cossette
Les limites de la démolition
Depuis 2015, à Saint-Bruno, toute demande de démolition doit être soumise à un comité de démolition d’immeubles, formé de membres indépendants du conseil municipal. La conseillère municipale du district 6, Marilou Alarie, qui a travaillé à l’élaboration du règlement alors qu’elle était l’élue responsable de l’urbanisme, explique « qu’une fois qu’une démolition est approuvée, elle est encadrée et communiquée à la population, dans le journal, ainsi que grâce à une affiche placée devant le bâtiment afin d’en informer le voisinage. Avant, la démolition se faisait du jour au lendemain suivant l’obtention du permis. Pour certains dossiers, toutes les conditions sont réunies pour la démolition et ça se gère assez rapidement, mais pour certains autres, qui concernent des bâtiments faisant partie de l’inventaire du patrimoine bâti, l’analyse est poussée et c’est plus long. En ce qui concerne la maison Sabourin, qui est hautement patrimoniale, c’est une maison de pierres et non pas de bois, elle se tient bien depuis 200 ans. Comme elle fait partie du répertoire, il va de soi qu’une demande de démolition qui serait maintenant présentée au comité ne serait pas acceptée ». Mme Alarie indique que la réglementation s’inspire de celle de la Ville de Saint-Lambert, où il serait très difficile de démolir les maisons à valeur patrimoniale.
La richesse architecturale
Le maire précise que la valeur patrimoniale d’un bâtiment ne dépend pas seulement de son âge, mais aussi de sa valeur architecturale, qui est prise en compte. « On peut parler de maisons qui ne sont pas très âgées, mais qui ont des caractéristiques patrimoniales qui font en sorte qu’elles sont rares, notamment pour leur architecture. L’église St Augustine of Canterbury, sur la rue Cherbourg, qui est considérée comme étant hautement patrimoniale pour son architecture, en est un exemple. » Susan Leclair, gestionnaire de projets et chef de l’équipe héritage au sein de la fabrique, rapporte que l’église, construite en 1967, a été identifiée par le Conseil religieux du Québec comme étant un incontournable du patrimoine bâti. « Notre architecture est effectivement unique. Nous sommes chanceux d’avoir eu la collaboration de l’architecte Victor Prus et du muraliste de renom Jordi Bonet. Nous en sommes très fiers », admet Mme Leclair.
Selon le maire, avec l’adoption de l’avis de motion concernant le patrimoine bâti, présenté au dernier conseil municipal, tout le processus devrait être fonctionnel d’ici le mois de janvier.
« Tout ça s’inscrit dans le plan d’urbanisme, qui a été un exercice citoyen très long mais très agréable. C’est après que c’est devenu plus pénible, avec les divergences au sein du conseil municipal. On semble oublier qu’on a adopté un plan d’urbanisme qui, selon moi, a tout couvert. »
Pour Mme Cossette, « Si l’on ne tente pas de protéger notre patrimoine bâti, il va disparaître. Les actions que l’on pose en ce sens s’inscrivent dans une vision parallèle que le conseil a depuis deux ans sur l’identité de la ville, qui détermine ce qui distingue Saint-Bruno des autres. »
Mme Alarie ajoute que « Le gouvernement du Québec ne pourra pas sauver tous les immeubles patrimoniaux, mais (que) sa collaboration avec les villes est importante pour plusieurs projets. Si la Ville de Saint-Bruno voulait éventuellement faire l’acquisition de la maison Sabourin, il serait intéressant d’avoir un coup de pouce financier de la part du Ministère. Lorsqu’il s’agit de sauver un élément important du patrimoine du Québec, il en va de la responsabilité de tout le monde d’y participer, pas seulement des villes. »
La question éthique
Relativement aux débats de censure d’éléments du patrimoine que l’on envisage de faire disparaître parce qu’ils sont jugés non éthiques par certains groupes sociaux, Mme Alarie se dit « pour le maintien de notre histoire dans l’espace public. Par contre, je ne suis pas en faveur de la glorification des éléments qui ne devraient pas être mis sur un piédestal. Je pense notamment à la statue de John A. McDonald qui a été décapitée au centre-ville de Montréal. C’est la glorification de tels éléments du patrimoine qui est à revoir, mais pas leur présence dans l’espace public. Il faut que la statue de McDonald soit dans l’espace public pour que l’on se souvienne de ce qu’il a fait et n’a pas fait dans l’histoire. Un citoyen m’a déjà appelée pour me communiquer son désaccord avec le fait qu’une rue à Saint-Bruno porte le nom Durham, en référence à Lord Durham, car il considérait que c’était un personnage qui avait méprisé les Canadiens français. On a d’ailleurs retiré le nom de rue Claude-Jutras à Saint-Bruno. Et si vous passez devant l’école Montarville, vous verrez un crucifix sur sa façade. Devrait-on le retirer sous prétexte que l’école est maintenant laïque? Je pense que les signes de notre passé doivent rester présents dans l’espace public, mais qu’il faut que cette présence soit accompagnée d’enseignements et de contextualisation, et non pas de glorification ».