Une nouvelle forêt urbaine électrisante à Saint-Bruno
Hydro-Québec vient de lancer un projet pilote unique au monde afin d’étudier, jusqu’en 2036, de quelle façon les arbres pourraient cohabiter avec les lignes électriques.
Dans la nuit de dimanche à lundi, les forts vents ont généré de nombreuses pannes électriques un peu partout au Québec. Arbres arrachés, branches sectionnées, la végétation compte parmi les principales causes de pannes d’électricité, et cette nuit-là en a été la démonstration. Cette année, Hydro-Québec (HQ) a dépensé 80 millions pour réparer des lignes endommagées par la végétation.
Alors plutôt que de couper des arbres pour protéger son réseau électrique, HQa décidé d’en planter à Saint-Bruno-de-Montarville afin de contourner le problème.
« C’est un projet unique au monde. Aucune publication scientifique n’a été faite sur le sujet à ce jour. » – Christian Messier
L’idée d’HQ d’utiliser les espaces vides sous ses lignes électriques pour y planter des arbres ne date pas d’hier. Les projets expérimentaux ont été proposés au fil des années aux municipalités, mais sans vraiment de succès. « Nos propositions ont été acceptées au compte-gouttes. Nous voulions planter des arbres entre les poteaux électriques devant les maisons », nous indique le porte-parole d’HQ, Philippe Cyr. Saint-Lambert, en Montérégie, est l’une des rares villes qui a bien voulu se prêter à l’exercice jusqu’à présent.
Une forêt urbaine
Devant ce constat d’échec, HQ a décidé de mener un projet pilote sur son propre terrain, à Saint-Bruno-de-Montarville, à l’endroit de son site administratif au 705, boulevard Clairevue.
C’est l’endroit que l’entreprise a choisi pour faire pousser une forêt urbaine de 540 arbres au cours des trois prochaines années. Des chercheurs étudieront et orienteront leur croissance jusqu’en 2036, afin qu’arbres et lignes électriques puissent cohabiter. Les arbres plantés ont déjà entre deux et trois ans.
« Nous allons mener ce projet pilote avec la chaire d’étude de la croissance des arbres de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) », précise HQ, une chaire dirigée par Christian Messier. « C’est un projet unique au monde. Aucune publication scientifique n’a été faite sur le sujet à ce jour », est excité d’annoncer M. Messier.
La chaire, financée en partie par Hydro-Québec, plantera 180 arbres cette année. L’objectif est multiple : favoriser la croissance de la canopée dans les municipalités, diminuer les coûts liés à l’élagage ou encore aux dommages causés par les arbres sur les lignes électriques.
Vendredi matin, les intervenants participant au projet étaient sur les lieux pour une première phase de plantation.
Augmenter la canopée
«Depuis une dizaine d’années, il n’y avait plus de plantation sous les lignes électriques. Cette idée a changé, car les villes veulent augmenter leur canopée pour tous les bienfaits qu’apportent les arbres en termes de qualité de vie », explique M. Messier.
Ainsi, le projet pilote permettra de voir s’il existe un processus qui permettra de faire pousser de gros arbres sous le réseau électrique en favorisant une pousse naturelle autour des fils.
« Dans ce projet unique, nous avons décidé, pour des raisons de facilités, de faire pousser les arbres dans un grand champ, dans un endroit homogène. Nous avions déjà essayé de faire pousser des arbres avec tuteurs sous des lignes électriques dans des villes, mais il y a eu plusieurs problèmes qui nous ont empêchés de mener à bien ce projet. Nous pourrons, ici, aller jusqu’au bout dans de très bonnes conditions », se réjouit M. Messier.
Six espèces d’arbres
Six espèces d’arbres seront plantés. Ils ont été choisis car ils partagent les caractéristiques de nombreuses autres espèces.
Certains d’entre eux pousseront sans aucune intervention, d’autres seront guidés par les tuteurs après élagage dans le but qu’ils poussent de chaque côté des fils électriques. « On va guider les branches sur dix ans. Pour éliminer les tiges verticales, on testera l’élagage et aussi l’ombrage, car on a constaté qu’à l’ombre, on évite le développement des tiges verticales », d’indiquer celui qui dirige le projet.
Après 15 ans, un constat pourra être fait, peut-être même avant : « Après cinq à sept ans, on aura déjà de bons indicateurs et un rapport préliminaire pourra être établi. »
Si les premiers résultats sont concluant, l’aspect même de nos villes pourrait changer. « C’est un banc d’essai expérimental que l’on entreprend là. On pourrait changer notre discours sur la plantation des arbres en dessous des lignes après l’étude », nous confie Isabelle St-Jean, conseillère en recherche scientifique d’HQ.
Une solution économique
L’investissement dans ce projet pilote par les partenaires de la chaire laisse croire que beaucoup d’espoir est entretenu quant aux retombées économiques du projet. « HQ a un réseau vieillissant et cette solution entre dans notre plan de réduction des pannes. Elle serait moins coûteuse et plus pratique que des lignes enfouies. »
Pour les années 2018 et 2019, HQ a enregistré des records d’incidents liés à la végétation qui lui ont coûté très cher.
Régler ce problème en créant de la végétation urbaine, c’est ce que HQ souhaite proposer aux municipalités pour les motiver à participer au projet.
« Cela se fait en partenariat avec les villes, car le terrain en dessous des lignes électriques appartient aux municipalités. Ce sont elles qui plantent les arbres, mais c’est HQ qui doit procéder à l’élagage lorsque ces dernières posent un problème avec les lignes électriques. Nous rencontrons quelques municipalités pour embarquer dans le projet comme l’a fait Saint-Lambert, qui accueille l’initiative favorablement », d’indiquer Mme St-Jean.
À Saint-Bruno, tout le monde semble participer au projet, la Ville et même les pompiers, qui voient l’idée d’un bon œil. « On a travaillé avec le Service incendie de l’agglomération de Longueuil pour arroser les arbres. Les pompiers sont aussi intéressés par le projet, car ils sont souvent appelés en cas d’urgence », de conclure Mme St-Jean.
Le projet n’est pas destiné aux lignes à haute tension, qui connaissent d’autres réalités. Cependant, là aussi HQ réfléchit à occuper ces espaces. « Le projet est vraiment prévu pour les lignes dans nos rues, pas sous les lignes à haute tension. Il y a déjà des projets sous ces installations qui sont en place pour planter des arbustes afin de diminuer l’élagage ou encore les herbicides », ajoute M. Messier.
Dans 15 ans, peut-être même avant, le réseau électrique et les arbres ne se comporteront peut-être plus comme chien et chat.
Une chose est certaine, d’ores et déjà, Saint-Bruno-de-Montarville se voit dotée d’une nouvelle forêt urbaine.