Un coach qui prône la tolérance
Depuis trois ans, Jean-Marie Tuma-Waku est entraîneur de futsal à l’école secondaire du Mont-Bruno. Il s’est confié au journal sur l’importance d’éduquer les jeunes et de les rendre tolérants.
Jean-Marie pratique ce sport depuis qu’il est tout petit dans son pays natal, le Congo, et a immigré au Québec en août 2011. Il a intégré l’école en première secondaire, où il a continué de pratiquer le futsal au sein de son équipe, avant d’en devenir l’entraîneur.
« Le futsal est un sport qui s’apparente à du soccer intérieur, mais qui se joue à cinq contre cinq. J’y joue depuis que j’ai cinq ans. En Afrique, on fait du football sur à peu près n’importe quel terrain, soit sur le sable, le gazon ou sur le dur, comme au futsal », explique-t-il.
« Avant, en tant qu’étudiant à la polyvalente, je jouais au sein de l’équipe, et à la fin de mes études secondaires, j’ai demandé un poste de coach. » À seulement 21 ans, le jeune entraîneur, qui en est déjà à sa troisième année en tant que coach, fait preuve de beaucoup de maturité, une qualité nécessaire lorsqu’on devient le modèle sportif des jeunes. Son équipe, qui a remporté le Championnat de la ligue de futsal régulière cette année, joue après les cours en parascolaire.
« D’habitude, je gère une seule équipe, mais l’an dernier, j’en ai eu deux. C’est quand même difficile à gérer, seul ou avec un assistant-coach. En ce moment, j’ai seulement une équipe et j’adore ça, car je m’amuse à voir les enfants s’amuser et s’améliorer. » Jean-Marie entraîne des élèves de la première à la cinquième année du secondaire, la composition des équipes étant toujours diversifiée. Les filles se faisant plus rares, il a dirigé une équipe mixte au sein de laquelle il n’y avait qu’une seule joueuse l’année dernière, mais cette année, il a eu l’occasion ponctuelle d’entraîner une équipe entièrement féminine « pour dépanner ». Sinon, il hérite essentiellement de joueurs masculins.
Les effets de la pandémie
« Pour l’instant, on ne joue pas. Normalement, au début du mois d’octobre, je sélectionne mes joueurs et forme mes équipes, mais avec la pandémie, on n’a pas encore eu de message de l’école en ce sens, d’autant plus que rien n’a encore été annoncé par la santé publique en faveur du sport parascolaire. Je n’ai donc pas eu l’occasion de rencontrer le groupe, mais puisque ce sont des jeunes et qu’ils sont très à l’aise avec la technologie, j’ai créé un groupe virtuel sur une plateforme de réseau social afin de rester en contact avec eux. Quand je leur ai expliqué la situation, personne n’était content, c’est certain. Tous les petits sont sur les médias sociaux, et je trouve ça plus pratique. Des fois, je les joins individuellement pour être certain qu’ils reçoivent le message au lieu d’avoir à passer par les parents. »
« Moi, je trouve que le ‘mot en N’ devrait vraiment rester en dehors de tous milieux scolaires et professionnels. » – Jean-Marie Tuma-Waku
Le racisme et l’usage du « mot en N »
Quand on lui parle de racisme ou de propos désobligeants liés aux différences culturelles, Jean-Marie admet qu’il en a subi et en a été témoin « beaucoup trop » de fois. « En arrivant ici, j’étais jeune, mais je ne m’attendais pas à ça, et ne comprenais pas nécessairement le sens de tout ce qui était dit. En y réfléchissant bien maintenant, je dirais que j’ai été victime de beaucoup de racisme, que ce soit sous forme de blagues ou d’attaques. »
« Moi, je trouve que le ‘mot en N’ devrait vraiment rester en dehors de tous milieux scolaires et professionnels. Étant coach de couleur de peau noire, ayant dans mon groupe des enfants arabes, blancs, latinos, j’essaie d’exclure cela. C’est certain qu’étant jeunes, ils sont exposés à plein de choses sur les réseaux sociaux, mais pour moi, c’est inacceptable d’employer ces termes, que ce soit sur le terrain ou chez eux. Je ne veux juste pas l’entendre et ne l’utilise pas non plus. Je parle de football, on rigole un peu, on fait des blagues, mais on n’entre pas dans la polémique. Je n’ai pas forcément peur de la censure ou de m’exprimer, mais je suis simplement conscient du fait qu’il faut se limiter à ce que l’on peut dire, et éviter ce qui ne devrait pas être dit, surtout avec les jeunes. On n’a pas le même âge, on n’en est pas au même endroit dans la vie. J’ai des enfants de confession musulmane, et j’ai assez de jugement pour ne pas faire une blague islamophobe. Je ne fais pas d’humour noir avec mes jeunes. »
Entre amis noirs et blancs
« Je pense qu’il faut vraiment faire attention à ce que l’on dit dans tous les contextes, même entre amis qui se connaissent. Si j’ai un ami blanc, et que ça ne me dérange pas forcément qu’il emploie le ‘mot en N’, mais qu’on se retrouve avec certains de mes amis noirs, pour qui l’emploi du terme est problématique même sans l’intention de blesser, ça peut devenir offusquant très rapidement, et je me retrouve coincé. »
Une société qui veut alléger sa conscience
Questionné à savoir si la société a progressé ou si les choses n’ont pas vraiment évolué, il répond : « Je pense même que ça empire. C’est un peu comme si le monde raciste se cache un peu moins pour revendiquer son droit de dire le ‘mot en N’ ou autres trucs dans le genre. Les gens se cachent moins un peu. Moi, personnellement, j’en ai vécu moins, car j’ai su m’imposer et me faire respecter en grandissant, mais j’ai continué d’être témoin d’actes racistes dirigés vers d’autres. »
Pour Jean-Marie, les efforts de société à parler d’inclure la diversité, « c’est un peu comme si on allégeait le poids que l’on met derrière les mots, les combats que les gens essaient de mener pour faire diminuer les actes de racisme. Le fait d’en entendre parler à la légère dans les médias permet aux gens de se sentir un peu moins responsables. »
Des préjugés culturels dans le milieu du sport
« C’est un peu plus difficile dans le milieu sportif d’attaquer les minorités ethniques lorsqu’elles se retrouvent en majorité dans certaines équipes, surtout dans mon sport, car le football est un sport international et tout le monde y joue. Mais du racisme, tout le monde en a subi un peu, dont mes joueurs noirs, arabes et blancs. Je trouve ça dommage que des jeunes posent des gestes racistes, car ils n’en mesurent pas la portée. »
Développer l’éveil interculturel chez les jeunes
« La tolérance passe par l’éducation, celle des parents et de l’entourage, qui doivent y accorder l’importance qu’elle mérite à ce chapitre », observe Jean-Marie. « J’essaie moi-même de jouer ce rôle. Au Congo, on est très forts sur l’éducation. Je suis aussi conscient des différences culturelles entre éducations, ayant des jeunes de divers milieux culturels. Il arrive que certains soient moins respectueux, mais je m’assure d’imposer les mêmes règles pour tout le monde. Je suis dur, peut-être même un peu plus que leurs parents le seraient, et je leur fais comprendre qu’il faut agir respectueusement. J’ai constaté une amélioration chez mes jeunes et j’en suis très content. »