Fady Dagher : entretien avec l’homme du changement à la police de Longueuil
Fady Dagher, a ouvert les portes du SPAL à une équipe de tournage dont le documentaire est présenté à la Cinémathèque à Montréal jusqu’au 3 septembre. Entretien avec un homme qui souhaite faire du SPAL un exemple de la police de demain.
Est-ce que ce documentaire reflète bien la réalité au sein du SPAL et votre volonté de faire bouger les choses?
Cela fait près de deux ans et demi que les images ont été faites. Donc, depuis, il y a beaucoup de choses qui ont changé. C’est intéressant de voir un film deux ans plus tard, parce qu’on voit le chemin parcouru et tout le changement qu’on a apporté. C’est très prometteur. Oui, la résistance, humainement parlant, elle est toujours présente, mais quand les personnes comprennent le sens et le pourquoi, on doit s’adapter et améliorer notre approche.Cela se passe quand même très, très bien. Je vous donne un exemple : après le documentaire, quand nous avons mis en place notre projet immersion, nous avions 120 volontaires sur 300 patrouilleurs. Quand on parle de résistance, il y a quand même eu 120 volontaires, sans uniforme, sans arme pendant cinq semaines sans savoir dans quoi ils embarquaient. Cela me démontre que plus on communiquera, plus on donnera une chance au changement nécessaire, moins de résistance il y aura.
Vous êtes une sorte d’extraterrestre dans le monde policier, d’où ma question : vous sentez-vous à votre place dans la police?
Intéressant. Je pense que je ne peux pas être à une meilleure place que celle-là. Justement, être différent, voir les choses différemment, dans un monde qui est un peu plus conservateur, je pense que cela amène des questionnements, une manière de se remettre en cause. On peut se demander ‘’Pourquoi il amène telle approche? C’est quoi le but? C’est quoi qu’il vise?’’ Mais attention, le changement de culture dans la police, cela ne veut pas dire tout renier du passé. Un changement de culture veut dire garder les choses de l’ancienne culture qui sont encore très bonnes et nécessaires dans le futur. Il y a des choses que l’on fait déjà et qui sont très bonnes, comme nos enquêtes, nos interventions, périmètre de sécurité, le crime organisé, l’exploitation sexuelle… Il faut continuer et développer cette expertise, mais sur d’autres plans, sur comment on intervient en patrouille, au sujet de la santé mentale, de l’autisme, sur les populations vulnérables, on n’avait pas ce genre de complicité dans les années 70, 80. Les gens ne sont pas fous, dans la police. Quand je demande à mes troupes ‘’Sur dix appels, combien sont en lien avec la détresse humaine?’’Tous me disent, et j’ai les statistiques : ‘’70 %’’ Pourquoi on va dire qu’on ne va pas s’adapter à 70 % puisque le travail a changé?
Quand estimerez-vous que votre combat pour changer ce système sera gagné ou perdu?
Premièrement, ce combat pour le changement est entamé depuis deux ans. Moi, je dis qu’on a besoin encore d’une dizaine d’années jusqu’en 2030. Parce qu’il faut toujours calculer les carrières policières, qui sont de 30 ans. Il faut calculer le recrutement, le changement durant la carrière. Il faut qu’il y ait aussi toutes les évaluations du rendement. Vous parlez de système, c’est exactement ce à quoi nous nous sommes attaqués. On s’est attardés à l’individu lui-même, le policier, mais on est en train de revoir l’ensemble du système à partir du recrutement, le profil du policier et par la suite, son accueil au sein de l’organisation, comment il est coaché dans les véhicules de police. On va suivre le processus pour voir s’il n’a commis aucun délit et qu’il n’a aucun préjugé ni stéréotype quelconque. Après ça, on crée de nouvelles formes d’évaluation de rendement pour nos policiers et policières, qui sont principalement en lien avec des aspects émotionnels et puis des compétences techniques. Et puis aussi, on revoit le système de promotion; qui monte avec quelle valeur? C’est ça, revoir le système. Le plus difficile, c’est de remettre en cause les approches plus traditionnelles. Souvent, j’entends parler de la caméra portative sur le policier ou de fiche d’interpellation. Je respecte toutes ces approches, mais ce sont des approches qui nous donnent un diagnostic de la maladie. Mais personne ne traite la maladie. Le cancer, il faut le traiter. C’est le système qu’il faut revoir.
Si cela ne réussit pas, le changement que vous voulez instaurer, s’en va-t-on vers une police à l’américaine?
Je ne sais pas si on va s’y rendre, car il y a une grande différence avec les États-Unis ici, au Québec et au Canada. La formation des policiers et des policières au Canada, honnêtement, est extrêmement bien développée. On a des prérequis, des examens, des entraînements… On ne peut pas comparer avec les États-Unis. J’ai vu des plans de formation de policier dans certains États américains, et c’est épouvantable. Après 100, 150 ou 200 heures, on leur donne une arme et ils s’en vont patrouiller. On n’en est pas du tout là. Ici, c’est trois ans de technique policière, quatre à cinq mois à l’intérieur d’une académie de police. Peut-on continuer à améliorer des choses dans notre formation? Oui, comme mieux travailler avec la population. Devenir comme les Américains? Sincèrement, cela serait gratuit comme jugement, parce que le niveau de professionnalisation des policiers, on n’est pas au même endroit. Est-ce qu’on peut vivre des dérapages qui vont créer des tensions et un plus grand clivage avec la communauté? Ça, assurément, ça va arriver si on ne s’améliore pas.
Vous êtes-vous fait des ennemis dans votre démarche de changer la police?
Le mot ennemi est un peu fort. Est-ce qu’il y a des personnes qui ont peur d’embarquer dans un changement aussi important? Oui, ça, c’est sûr. Je sens qu’il y a des personnes qui observent, qui n’embarquent pas encore, mais c’est sain, car il faut gagner en crédibilité et en expérience. Quant les gens réalisent que ça avance, qu’il y a des suivis et que ça leur servira pendant la patrouille, c’est là que les personnes vont embarquer. Pas parce que je leur demande d’embarquer, mais parce que cette personne voit que ça va lui servir pendant les opérations quotidiennes. Oui, il peut y avoir des ennemis. Je ne suis pas naïf non plus, mais je vois qu’il y a une masse de personnes qui se posent des questions, qui s’interrogent et qui se demandent si elles embarquent ou pas. C’est ça que je sens présentement. Depuis le documentaire, la preuve la plus concrète que j’ai eue, c’est celle des 120 volontaires qui ont levé la main pour goûter à ce plat-là. Sincèrement, je suis extrêmement fier qu’ils soient sortis de là et qu’ils soient des ambassadeurs pour le reste de l’organisation.
Vous êtes très présent dans les médias. Alors, j’ai envie de vous demander si ce sont les médias qui vous utilisent ou si c’est vous qui utilisez les médias?
Je pense que cela peut être mutuel, mais vous avez raison, je veux le passer, mon message. Je veux que la population garde confiance et qu’on garde notre légitimité en tant que policier. Car sans légitimité de la communauté, on n’est rien. Et je peux voir qu’un changement s’opère. Les commentaires que l’on a eus de la population, c’est wow!, un service de police qui ose aller de l’avant dans une telle initiative. C’est ça, le message que je veux envoyer. On veut le faire, et continuez à avoir confiance en votre police. C’est ça, le message que je veux envoyer. Comment faire connaître ce message si on ne le médiatise pas?
Avez-vous des exemples de pratiques policières dans le monde qui vous influencent?
Il y a des villes que je regarde aux États-Unis, en Angleterre ou encore en Espagne, qui ont des approches intéressantes. Il y a des approches très innovantes ailleurs et si ça peut nous inspirer, tant mieux. Mais je peux vous dire une chose : l’approche d’une police de concertation qu’on est en train de mettre de l’avant, ça, je peux vous dire que c’est nous qui allons être inspirants. Les cinq semaines d’immersion au sein de la communauté, il n’y a pas un corps de police au monde qui est allé jusque-là.