Des enseignantes en confinement

Écoles fermées

Les écoles sont fermées depuis le 13 mars, d’abord pour deux semaines, maintenant jusqu’au 1er mai, au minimum. Isolées à la maison pendant cette pause dans l’éducation du Québec, des enseignantes de la région ont répondu aux questions du journal Les Versants.

Propos recueillis par Frank Jr Rodi

Qu’est-ce qui vous manque le plus de votre quotidien régulier?

Nathalie Goyer (enseignante de maternelle à l’École De Montarville) : C’est en corrigeant des petits travaux que j’ai réalisé à quel point ces petits êtres humains ont une grande place dans ma vie.

Marie-Claude Lajeunesse (enseignante de 6e année à l’École de la Mosaïque) : Les qualités et les défauts de mes élèves. Leur présence; je m’ennuie des petites routines, de leurs questions, de voir dans leurs yeux la satisfaction d’avoir réalisé une tâche, un projet, de les entendre rire de mes blagues et de les faire sourire. Je commence même à m’ennuyer de régler des conflits! Je m’ennuie du chaos, aussi réconfortant qu’il peut être, de ma classe. Je m’ennuie aussi de mes amis, mes collègues, qui sont bien plus que des amis!

Elle représente quoi pour vous, cette pause?

Nathalie Goyer : Personnellement, cette situation remet en perspective la retraite qui sera devant moi dans quelques années. Je réalise que je ne suis pas prête à faire “pause” sur l’enseignement.

Marie-Claude Lajeunesse : Un temps d’arrêt qui s’avérait peut-être nécessaire. Je sentais que j’étais en train de m’épuiser au travail dans les dernières semaines. Avec tout ce que l’on doit gérer dans une journée, je suis parfois essoufflée et j’ai à peine eu le temps d’enseigner ma matière. Une catastrophe dans le monde, oui, j’en conviens, la situation est anxiogène, mais en même temps, un cadeau du ciel qui fera du bien à ma santé, mon moral, et en bout de ligne, à la planète qui souffre depuis déjà trop longtemps.

Et si les cours ne devaient jamais reprendre pour 2019-2020?

Nathalie Goyer : En ce qui me concerne, l’école continue autrement. Mes élèves du préscolaire ont réalisé différents projets la semaine dernière en passant par les arcs-en-ciel, la fabrication d’une carte d’anniversaire pour une amie de la classe et différents projets artistique et de construction. J’ai le cœur rempli de bonheur chaque fois que je reçois des nouvelles de l’un d’eux!

« Ces petits êtres humains ont une grande place dans ma vie. » – Nathalie Goyer

Marie-Claude Lajeunesse : Je ne veux pas être pessimiste, mais j’ai ouvert la porte à cette question et je l’ai vite refermée. Je veux essayer de vivre au jour le jour car avec la logique des événements, je crois sincèrement que l’école ne reprendra pas cette année. Songer à cette possibilité m’attriste. Je me demande comment nous devrons procéder pour envoyer nos élèves au secondaire. Comment se sentiront les enfants? Ils vivront, pour plusieurs, une anxiété que je ne souhaite pas leur faire vivre. La 6e devrait être une année marquante dans la vie de nos jeunes, mais pas à cause du coronavirus.

Quelles notions les enfants de votre niveau manqueraient-ils si l’année n’était pas complétée?

Nathalie Goyer : Comme le préscolaire est une année avec beaucoup de notions d’habiletés sociales, je crois que le contact humain manquera à mes élèves. Ils vont certainement se développer autrement, avec une nouvelle conscience humaine.

Marie-Claude Lajeunesse : Nous avons déjà fait un bon bout de chemin, mais il reste encore plusieurs notions à voir et à consolider. C’est une première pour moi de ne pas faire mon projet coup de cœur sur les grenouilles en sciences. Qu’adviendra-t-il du projet sur l’électricité que nous avons commencé il y a quelques semaine? Nous n’aurons pas la chance de voir nos jeunes auteurs à l’œuvre pour nous inventer de nouvelles fables à la suite de l’étude de celles de La Fontaine. Nous n’avons même pas entamé les débats en classe! Chaque année, j’ai la chance de découvrir des orateurs de grande qualité, mais cette fois-ci, je n’aurai peut-être pas cette chance. En math, il nous reste quelques concepts à voir, à approfondir… Plus j’y pense, plus je réalise qu’il reste tellement de choses à voir!

Avez-vous communiqué avec vos jeunes et leurs parents grâce à la technologie?

Nathalie Goyer : J’ai repris contact la semaine dernière avec les parents de mes élèves pour poursuivre un enseignement à distance. J’ai retrouvé 12 de mes 17 élèves. J’avais étudié en innovation pédagogique à l’université; j’ai eu le goût de vivre l’école autrement!

Marie-Claude Lajeunesse : J’ai envoyé un courriel aux parents de la classe afin qu’ils transmettent mon message aux enfants. Je ressentais le besoin de leur dire : “ça va bien aller!”. Je trouvais aussi important de leur demander de prendre soin de leurs parents, eux qui doivent jongler avec tellement de contraintes. J’ai pris quelques instants pour leur dire qu’il est normal de vivre une certaine anxiété, mais qu’ils peuvent toujours en parler et poser des questions. Je les ai invités à me donner des nouvelles s’ils le désirent! Plusieurs élèves m’ont déjà écrit et c’est avec fébrilité que je leur ai aussitôt répondu!

Comment occupez-vous votre temps libre à la maison?

Nathalie Goyer : J’ai développé une nouvelle routine en communiquant avec ceux que j’aime, en m’entraînant quotidiennement, en préparant des messages pour mes élèves, en réalisant des petits ouvrages à la maison.

Marie-Claude Lajeunesse : Mon amoureux a commencé à bâtir des jeux de construction en bois avec les enfants. Ce genre d’activité les occupe pendant des heures et ils sont fous de joie de pouvoir utiliser des outils avec papa! Nous faisons notre propre pain, activité de maman avec les enfants. Nous prenons une marche tous les jours avec notre chien. Les enfants ont commencé à faire des tâches ménagères pour nous aider. Ils ont beaucoup d’imagination et s’inventent des jeux ensemble; c’est assez drôle de réaliser qu’un de leur jeu favori est de… jouer à l’école!

Si vous avez des enfants d’âge scolaire, faites-vous l’école à la maison?

Marie-Claude Lajeunesse : Pour l’instant, j’ai choisi de ne pas faire l’école à la maison. Si la situation perdure dans le temps, je suivrai les recommandations qui seront faites par le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Jean-François Roberge. En attendant, place aux jeux et au repos!

Que pensez-vous de la situation actuelle?

Nathalie Goyer : C’est rassurant de constater que la vie scolaire que nous avions manque à mes élèves. Le bonheur que nous avons à communiquer virtuellement est rassurant pour nous tous. Peut-être sommes-nous à un moment de notre époque où l’on repensera une école nouvelle?

Marie-Claude Lajeunesse : J’essaie de suivre l’évolution de la pandémie tous les jours en écrivant un journal personnel sur mes états d’âme. Je me dois d’être forte pour mes enfants, qui sont jeunes et qui ne comprennent pas tous les enjeux… L’isolement n’est pas toujours une partie de plaisir; il y a des journées plus difficiles que d’autres, mais chez moi, j’ai le bonheur d’avoir une grande cour et de pouvoir profiter du grand air. Mon conjoint et moi sommes payés, donc je ne peux pas me plaindre. Un énorme stress de moins sur les épaules. Lorsque je pense à toutes les familles qui se retrouvent soudainement en stress financier, cela me met à l’envers.

Avez-vous un message pour vos écoliers?

Nathalie Goyer : Je les aime beaucoup et mon cœur est avec eux!

Marie-Claude Lajeunesse : Dans plusieurs années, vous pourrez raconter comment l’année 2020 aura marqué le monde. Soyez confiants, extériorisez votre anxiété si vous en ressentez, n’hésitez pas à questionner vos parents pour comprendre ce qui se passe, mais surtout, respectez les règles que le gouvernement s’efforce de nous donner. Ensemble, nous réussirons à surmonter cette dure épreuve. Par pitié, ne portez pas le poids des adultes sur vos épaules… soyez des enfants, tel reste votre rôle premier!

QUESTION AUX LECTEURS :

Comment expliquez-vous la situation à vos enfants?